Analyse

Travaux domestiques et exploitation économique des femmes en Tunisie : Les bonnes intentions suffisent-elles ?


Travaux domestiques et exploitation économique des femmes en Tunisie : Les bonnes intentions suffisent-elles ?
  • 16 Août 2020

Aide-ménagère, femme de ménage, gouvernante à domicile… indépendamment des appellations, leur situation est la même : exploitation économique, traite de personnes, humiliation et même harcèlement et viol. En Tunisie, les droits de ces travailleuses ne sont pas garantis par la loi en l’absence d’un cadre légal qui réglemente leur activité exercée souvent dans la clandestinité.  


C’est dans ce contexte qu’un Conseil ministériel a approuvé, à l’occasion de la célébration de la Journée nationale de la femme correspondant au 13 août de chaque année, un nombre de projets de loi et de décrets gouvernementaux relatifs à la femme, à la famille et à l’enfance. Annoncées par le Chef du gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes Elyes Fakhfakh, ces mesures vont dans le sens de la lutte contre la précarité des femmes vulnérables et la préservation de leurs droits, notamment en ce qui concerne la mise en place de cadres légaux en leur faveur. En effet, à la veille de cette Journée nationale de la femme, le gouvernement a décidé de se mobiliser au profit de la gent féminine, mais tout cet arsenal juridique doit être suivi par des mesures d’accompagnement en vue de l’activer. Dans ce sens, plusieurs projets de loi et de décrets ont été annoncés, dont notamment un texte relatif aux conditions de travail des femmes et à leur dignité. Il porte, surtout, sur la lutte contre la traite des personnes dans le cadre des travaux domestiques. Ce projet de loi vise essentiellement à mettre fin à la précarité des femmes travaillant comme aides-ménagères, il prévoit, d’ailleurs, un contrat de travail qui doit être élaboré et présenté au bureau de l’emploi pour les travaux domestiques.

Une fois promulgué par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) qui doit accélérer l’adoption de ce genre de cadres législatifs, il garantira également la mise en place d’un salaire minimum sur la base du Smig (Salaire minimum interprofessionnel garanti), la fixation d’un nombre maximum d’heures de travail et d’heures supplémentaires et un repos hebdomadaire qui doit être accordé, au même titre que les vacances annuelles, les congés spéciaux (maternité).

Ce projet de loi qui s’annonce révolutionnaire mais qui nécessite un suivi pour en contrôler l’application des dispositions après son adoption au parlement, oblige l’employeur de respecter les droits des travailleurs, il doit aussi les déclarer à la Caisse nationale de sécurité sociale et de garantir tous leurs droits. Conformément à ce projet de loi, des inspections de travail seront effectuées régulièrement pour suivre le respect de ces dispositions, en plus de la nécessité de sensibiliser les citoyens sur l’importance de dénoncer le travail des enfants et la traite des personnes.

De nouvelles mesures mais…

Comme chaque année, de nouvelles mesures ont été annoncées au profit de la femme tunisienne à l’occasion de sa fête. Mais leur mise en place reste tributaire des mécanismes de suivi et d’accompagnement pour une meilleure efficience. Cette année, le Conseil des ministres a approuvé des projets de loi relatifs à la loi organique amendant et parachevant le Code de protection de l’enfance et à l’approbation de l’adhésion de la République tunisienne à la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Quant aux projets des décrets gouvernementaux, ils consistent notamment en un projet de décret gouvernemental relatif au parachèvement des décrets portant organisation spécifique des délégations régionales pour le développement agricole et un projet de décret gouvernemental fixant les conditions d’exercice de l’activité de transport des travailleurs agricoles.

Même si la Tunisie se présente comme un pays leader en matière de droits des femmes notamment dans le contexte arabe et africain, des efforts doivent être déployés pour consolider davantage ces  acquis au profit de la gent féminine. Car, en effet, la situation de la femme n’est pas, parfois, aussi rayonnante que l’on croit. Le nombre de victimes de la traite des personnes en Tunisie est alarmant. Au cours de l’année 2019, leur taux s’est élevé à environ 57%, soit 780 cas. Alors que la proportion d’enfants victimes de ce crime est estimée à 47%, soit 612 cas, selon de récentes statistiques publiées par le ministre de la Femme, de la Famille, de l’Enfance et des Séniors.

Protéger les «survivantes du quotidien»

Les ouvrières agricoles font également face à un quotidien extrêmement difficile, voire dangereux, elles sont d’ailleurs exposées à tous les risques : accidents du travail, accidents de la route, exploitation économique, harcèlement sexuel et autres. Le 27 avril 2019, treize personnes décèdent dans un accident de la route à Sabbela, localité du gouvernorat de Sidi Bouzid, en majorité des ouvrières agricoles. Depuis, l’affaire avait fait polémique mais progressivement le dossier de ces «survivantes du quotidien» a été classé. En dépit d’une batterie de mesures annoncées, alors, en leur faveur, des accidents de la route dont ces femmes sont les principales victimes se poursuivaient et aucune mesure efficace pour leur garantir un transport décent et sécurisé n’a été mise en place.

En effet, tous les ans, des dizaines d’ouvriers agricoles sont victimes d’accidents de la route. Ainsi, entre 2015 et 2019, le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes) avait recensé 40 décès et plus de 500 blessés. L’émoi suscité par le drame de Sabbela ainsi que sa large médiatisation, ont entraîné de nombreuses réactions et promesses, restées, pourtant sans concrétisation.

Source : La Presse


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