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Ce lundi à Berlin, la chancelière allemande s’est vue remettre le prestigieux Prix Fulbright pour « la paix » et la « compréhension internationale ».
De notre correspondant à Berlin
La star de CNN Christiane Amanpour ne mâche pas ses mots. C’est un torrent de louanges. Lundi soir à Berlin, à quelques mètres de la Porte de Brandebourg et de l’ambassade américaine, la journaliste rend hommage à une autre star: Angela Merkel. Elle ne lésine pas sur les superlatifs pour saluer le leadership «remarquable» de la chancelière, dont elle souligne «le courage», la «compassion», etc. «Angela Merkel est une source d’inspiration pour des centaines de millions de femmes et d’hommes», dit-elle. «Elle a démontré encore et encore son attachement aux valeurs de tolérance, aux droits de l’homme et à la démocratie», ajoute-t-elle. Ce lundi soir, la critique du bilan d’Angela Merkel n’a pas sa place.
La journaliste est venue spécialement des Etats-Unis pour prononcer l’hommage qui est rendu à la chancelière avant que ne lui soit décerné le Prix Fulbright pour «la paix» et la «compréhension internationale». C’est la première fois depuis 25 ans que cette prestigieuse association se déplace à l’étranger pour honorer son lauréat. Avant Angela Merkel, Nelson Mandela, Jimmy Carter, Vaclav Havel, Bill Clinton, ou Médecins sans frontières ont reçu le prix, au nom du sénateur William Fulbright, fondateur d’un vaste programme d’échange éducatif après la guerre. «Angela Merkel incarne le meilleur leadership en temps de crise», souligne Manfred Philipp, le président de l’association. Ce n’est pas la première fois que la chancelière est honorée par ce type d’organisation. Chaque année, lors de la remise du prix Nobel de la paix, la rumeur fait circuler son nom.
Idole des ONG
Près de quatorze ans après son arrivée au pouvoir en Allemagne, Angela Merkel est devenue une icône du multilatéralisme. À son arrivée, la salle triée sur le volet s’est levée comme un seul homme pour l’applaudir. Et quand elle a confirmé qu’elle resterait «un peu» pour la réception, les organisateurs ont cru bon de prévenir: «Respecter l’espace autour d’elle». Comme si Angela Merkel risquait d’être écrasée par ses fans.
Cette aura contraste avec son style terre-à-terre et son ton sans éclat. En plaidant pour le «multilatéralisme» et la nécessité de trouver des «compromis», en prêchant la modestie et en conseillant «de ne pas oublier les leçons du passé», Angela Merkel ne fait pas de surenchère dans le vocabulaire. Mais elle défend une vision du monde que les populismes défient. Ses mots sonnent comme des critiques envers le président américain Donald Trump. Mais elle prend soin aussi de souligner son attachement à la relation transatlantique quand elle est fondée sur la «confiance».
Dans un monde pris en étau par Donald Trump et Vladimir Poutine, Angela Merkel est l’idole des ONG et des institutions qui promeuvent la défense des droits de l’homme. Après l’élection du président américain, elle avait été intronisée nouveau «leader du monde libre» par le New York Times. Elle avait ensuite refusé d’assumer le titre. Mais dans le dernier rapport de Human Rights Watch, rendu public la semaine dernière, la chancelière est encore l’un des rares dirigeants internationaux à trouver grâce aux yeux de l’organisation. «Angela Merkel est une dirigeante importante pour la défense des droits de l’Homme dans le monde», a déclaré Kenneth Roth, le président de HRW, qui s’avouait à l’inverse «déçu» par Emmanuel Macron.
Ouverture des frontières
Doyenne d’expérience des leaders occidentaux, adossée à la puissance économique de son pays dont elle n’oublie jamais les intérêts économiques, Angela Merkel a acquis un poids politique sans équivalent sur la scène internationale. Human rights watch a souligné sa capacité à critiquer les Etats-Unis ou la Russie si nécessaire. L’ONG a aussi salué la façon dont elle a réagi face à l’Arabie Saoudite après l’assassinat du journaliste Jamel Khashoggi: Berlin a stoppé ses exportations d’armes au royaume. L’année dernière, l’Allemagne a aussi accueilli Liu Xia, la veuve du dissident Liu Xiaobo décédé en juillet 2017, quelques jours après un déplacement d’Angela Merkel en Chine. La visite de la chancelière avait été décisive pour permettre son voyage.
En défendant les droits de l’homme comme chancelière, Angela Merkel a finalement fait oublier son soutien à la guerre en Irak en 2003 lorsqu’elle siégeait dans l’opposition. Son attachement aux valeurs ne l’empêche pas non plus de soutenir avec pragmatisme les intérêts économiques de son pays, comme lorsqu’elle soutient le projet de gazoduc russe Nord Stream 2, auquel les États-Unis s’opposent.
Dans l’hommage qui lui a été rendu lundi soir par l’Association Fulbright, il est évidemment question de sa décision historique de ne pas fermer les frontières de son pays en 2015 et d’accueillir des centaines de milliers de réfugiés pour éviter une catastrophe humanitaire. C’est à ce moment-là qu’Angela Merkel a conquis son titre de noblesse sur la scène internationale. Le Times avait alors fait d’elle la «personne de l’année». «L’histoire lui donnera raison», avait déclaré le président de la commission européenne Jean-Claude Juncker. Aujourd’hui, elle évite d’évoquer l’épisode des réfugiés qui a contribué à faire émerger la droite radicale en Allemagne. Celle-ci lui reproche d’avoir ouvert le pays à l’immigration. Plus de trois ans plus tard, le pays est toujours divisé sur le sujet. Cette fracture restera aussi au bilan de «Globale Mutti».
Nicolas Barotte
Source : Le Figaro