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Nommée le 4 décembre, la nouvelle procureure générale est la première femme désignée à ce poste et hérite d’une institution à bout de souffle.
« La maison brûle ». Tout juste nommée à la tête du parquet général sud-africain, le 4 décembre, Shamila Batohi n’y est pas allée par quatre chemins pour décrire l’état de déliquescence de l’institution dont elle prend les rênes.
Première femme désignée à ce poste extrêmement sensible en Afrique du Sud, elle hérite d’une tâche monumentale : depuis la fin de l’apartheid en 1994, aucun de ses prédécesseurs n’est allé au bout de son mandat, tous victimes des machinations politiques qui ont durablement entaché la crédibilité du ministère public.
Shamila Batohi succède ainsi à Shaun Abrahams, dont la nomination a été invalidée en août 2018 au terme d’une longue bataille judiciaire menée par les partis d’opposition. Surnommé « Shaun le mouton » pour sa trop grande proximité vis-à-vis de Jacob Zuma, il avait tendance à se montrer impassible face aux multiples accusations qui visaient l’ancien président. Ce dernier avait finalement été contraint à la démission en février, cerné par les affaires de corruption qui ont émaillé ses deux mandats (2009-2018).
« Un choix judicieux »
Shamila Batohi hérite ainsi d’une institution divisée par les luttes internes et affaiblie par une hémorragie de procureurs préférant le privé. « A ce moment de notre histoire, notre pays a besoin d’un parquet général au-dessus de tout soupçon », a précisé le nouveau président, Cyril Ramaphosa, lors de l’annonce de son choix à la presse.
La nouvelle procureure générale sud-africaine Shamila Batohi lors de son discours inaugural en présence du président Cyril Ramaphosa, à Pretoria, le 4 décembre. SIPHIWE SIBEKO / REUTERS
Cette nomination a été unanimement saluée par la société civile et les éditorialistes, d’abord pour la manière dont le processus de sélection a été conduit. Jusque-là, le procureur général était nommé directement par le président, comme le prévoit la Constitution. Cette fois-ci, Cyril Ramaphosa, qui a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille, a nommé un panel d’experts chargé d’auditionner les candidats. Le tout a été retransmis en direct à la télévision, une première.
« Shamila Batohi est un choix judicieux. Elle apporte une grande expérience, ayant mené des poursuites dans des cas complexes contre des personnalités et des individus puissants. Elle a les compétences techniques, managériales et politiques pour redresser le parquet »,estime ainsi Gareth Newham, de l’Institut d’études de sécurité (ISS) à Pretoria.
Originaire du Kwazulu-Natal (est), le fief de Jacob Zuma, Shamila Batohi a dirigé le parquet provincial de 2000 à 2009, avant de s’installer à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, aux Pays-Bas, comme conseil auprès du procureur. Cet éloignement lui a permis de rester en dehors des luttes intestines qui minent le ministère public ces dernières années.
« Un gros travail à faire »
Sa désignation semble également indiquer que l’Afrique du Sud est en train de revenir sur sa décision de quitter le tribunal de La Haye. Le processus de sortie, annoncé en octobre 2016 après le refus de Pretoria d’interpeller sur son sol le président soudanais Omar Al-Bachir, est depuis en suspens.
Lors de son audition, Shamila Batohi a impressionné par son franc-parler. « Nous avons un gros travail, a-t-elle déclaré. Nous devons nous consacrer à traduire en justice les responsables qui ont corrompu nos institutions, qui ont trahi le bien commun et les valeurs de notre Constitution pour leurs propres intérêts. Et particulièrement ceux qui sont aux plus hauts postes du gouvernement et des entreprises. »
Jacob Zuma est le premier concerné, qui sera jugé en 2019 dans le cadre d’une vieille affaire de pots-de-vin versés en marge d’un contrat d’armement à la fin des années 1990. De nombreux responsables politiques du parti au pouvoir, l’African National Congress (ANC), sont aussi visés, impliqués dans le scandale de « capture de l’Etat » portant sur l’influence néfaste de la riche famille indienne Gupta au sommet de l’Etat. Une commission d’enquête judiciaire œuvre depuis août pour faire toute la lumière sur l’affaire, et il appartiendra au parquet général d’engager des poursuites à point nommé.
Enfin, le fait que Shamila Batohi soit une femme suscite une très grande attente, alors que les violences sexuelles en Afrique du Sud sont un fléau contre lequel la justice s’est montrée totalement impuissante. Tandis que 110 viols sont déclarés chaque jour à la police, seulement 15 % des auteurs présumés sont poursuivis et 5 % sont condamnés.
Adrien Barbier (Johannesburg, correspondance)
Source : Le Monde