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La participation à la population active des femmes en Afrique subsaharienne est globalement plus élevée que dans les autres régions, même s’il existe de grands écarts. Les pays à l’Est du continent africain comptent les taux de participation les plus élevés au monde comme le Mozambique, Madagascar ou la Tanzanie, avec des taux respectifs de 86, 87 et 88% selon le Panorama des inégalités hommes-femmes dans le monde de l’AFD.
Paradoxalement, malgré ces taux élevés d’activité économique, la contribution réelle de la femme à l’économie reste largement sous-estimée. Comment l’expliquer ?
Une faible valorisation des activités marchandes exercées par les femmes
De manière générale, le secteur d’activité qui emploie le plus de femmes est l’agriculture. En Afrique subsaharienne, les femmes produisent jusqu’à 70% (voire 80% en Afrique centrale selon la FAO) des denrées alimentaires destinées à la consommation des ménages et à la vente sur les marchés locaux. Elles répondent à une demande alimentaire croissante face à la démographie galopante du continent.
“Dans le cas de cultures comme le riz, le blé et le maïs, qui représentent environ 90% de la nourriture consommée par les habitants des zones rurales, ce sont essentiellement les femmes qui plantent les graines, s’occupent du désherbage, cultivent et récoltent les produits agricoles et en vendent les excédents” écrit l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
Un rôle primordial, comme le souligne Pierre Janin dans le livre L’Afrique des idées reçues : « Le rôle des femmes dans la solution des problèmes récurrents subsahariens – dépendance alimentaire, malnutrition, alimentation urbaine – a été sous-estimé, voire occulté. »
Cependant, en Afrique, l’agriculture reste une activité à faible valeur ajoutée et donc générant de faibles revenus.
Et s’il y a autant de femmes exerçant des activités agricoles, peu qualifiées et peu rémunérées, cela s’explique en partie par leur plus faible accès à l’éducation. Seulement 57% des femmes savent lire et écrire en Afrique subsaharienne selon les données de la Banque Mondiale, région du monde qui compte les plus faibles niveaux d’alphabétisation monde.
Leur contribution à la richesse nationale reste faible et leur invisibilité forte… Mais la production marchande n’est en réalité qu’une partie du travail exercé par les femmes africaines puisque le secteur informel occupe également une grande partie de leur temps de travail.
La non prise en compte de la pluriactivité des femmes
Le second facteur qui permet d’expliquer l’invisibilisation de la femme dans l’économie est la non prise en compte de la diversité des activités qu’elle exerce au cours de la semaine ou même de la journée.
Malgré une activité stable et permanente, les
contextes macroéconomiques de crise, d’ajustement et de pauvreté suscitent de
nombreuses vocations à la pluriactivité explique Jacques Charmes pour la Revue
Tiers Monde. Ainsi, de nombreuses femmes africaines sont également
présentes dans l’économie informelle. Elle désigne l’ensemble des activités
productrices de biens et services qui échappent au regard ou à la régulation de
l’État.
Ces activités exercées à titre secondaire relèvent par exemple de la
transformation de produits agricoles (vannage, filage, tissage, confection) et
alimentaires (fabrication de la bière de mil).
Ces activités n’étaient pas prises en compte dans le PIB, du moins pas avant les années 1980 où les comptables nationaux de plusieurs pays ont pris en compte la contribution des femmes au PIB créé par le secteur informel. Des enquêtes sectorielles ont été lancées, à l’issue desquelles il a été démontré par exemple que la production des fabricantes de bière de mil (appelées les “dolotières”) exerçant à titre secondaire était dix fois supérieure au nombre de celles qui exerçaient cette activité à titre principal.
Prenons l’exemple de deux pays. Les données remontent aux années 90 mais permettent de saisir l’importance de la mesure de la pluriactivité. Au Kenya, où les activités secondaires ne sont pas prises en compte dans le PIB, les femmes représentent plus de 60 % de l’emploi dans le secteur informel, mais ne contribuent qu’à 42 % du PIB créé par le secteur informel. A l’inverse au Mali, où les statistiques de l’emploi tiennent compte des activités secondaires, les femmes représentent 71,9% de l’emploi dans le secteur informel, et 62 % de la contribution du secteur informel au PIB.
Ainsi, ce travail féminin qui pourrait avoir une plus forte valeur ajoutée que le travail agricole est victime d’une « invisibilité » statistique car difficilement mesurable et pas toujours intégré au calcul du PIB national.
La forte implication des femmes dans des activités économiques non marchandes, moins bien valorisées
En parallèle de leur travail à la fois dans le secteur formel et informel, les femmes effectuent aussi des activités de nature domestique et donc non marchandes.
C’est à elle qu’il revient de trouver et préparer des aliments pour sa famille, d’aller chercher du combustible ainsi que de l’eau, de s’occuper et d’élever les enfants. Ces tâches ont en effet une connotation symbolique et sont réputées périlleuses pour la masculinité de l’homme. On assiste donc à une forte division sexuelle du travail au sein du foyer, la femme restant traditionnellement associée à la sphère privée, domestique, en charge du bien-être du lieu de vie familial.
Lorsqu’on incorpore les activités domestiques dans la comptabilisation du travail, la contribution des femmes devient très supérieure à celle des hommes. Au niveau mondial, les femmes effectuent 3,2 fois plus de travail domestique et de soins non rémunérés que les hommes d’après cette étude de 2019 de l’Organisation internationale du travail. Au Mali, au Bénin ou encore à Madagascar, les femmes réalisent respectivement 92 %, 84% et 81,3% de ce travail.
Ce travail n’est pas rémunéré et inclut les tâches
domestiques et les soins apportés aux enfants, aux personnes âgées et
handicapées, dans le foyer et au sein de la communauté. Un travail essentiel
qui contribue au bien-être des habitants et au développement social et
économique.
Par exemple, lorsque les femmes s’occupent de la préparation des repas, elles
nourrissent leurs enfants et prennent soin de leur santé. In fine, ces
derniers peuvent aller à l’école, ce qui augmente leurs chances d’accéder au
marché du travail avec toutes les conséquences positives qui lui sont liées.
Toujours est-il que ces activités productives non marchandes principalement réalisées par des femmes ont du mal à être considérées comme des activités économiques, ce qui contribue à invisibiliser leur travail. En effet, l’idéologie dominante ne conçoit comme travail que l’activité rémunérée. Or, le travail domestique ne donnant pas lieu à une rétribution financière, il n’est pas pris en compte dans la production des richesses. Cependant, dans de nombreux pays africains où le secteur non marchand représente une très grande partie de l’activité économique, et occupe plusieurs heures dans la journée des femmes, réviser le mode de calcul du PIB pour intégrer cette sphère productive semble indispensable.
Mais il se confronte toujours à plusieurs problématiques comme celle de la disponibilité des données puisqu’il faudrait réaliser de nombreuses enquêtes de terrain pour mesurer l’activité non marchande, ou encore l’absence d’une valeur monétaire assignée au temps de travail domestique. Dans ce contexte, il reste difficile d’évaluer la contribution du travail domestique réalisé par les femmes au développement.
De l’invisibilité à la reconnaissance du travail féminin
En parallèle de leur travail dans le secteur formel et informel, la femme africaine s’occupe également des tâches domestiques, très chronophages. Toutes ces composantes de leur temps de travail, à savoir l’activité économique marchande, l’activité économique non marchande et l’activité domestique sont intimement liées et constituent des vases communicants. Même si le rôle dans le développement économique de certaines activités semble indirect au premier abord, il n’en garde pas moins toute son importance. Cependant, elles ne sont pas toutes prises en compte dans le calcul de la richesse nationale.
Selon Jacques Charmes, économiste à l’IRD, « la recherche d’une meilleure visibilité de la contribution des femmes africaines à l’activité économique et au travail au sens large constitue une étape nécessaire à leur reconnaissance, et à la reconnaissance d’un statut consacrant une plus grande égalité entre les sexes. »
Afin d’améliorer leur statut et réduire les inégalités de genre, la mise en place de politiques favorisant l’inclusion des femmes dans la société semble indispensable. A travers une meilleure prise en compte de leur travail dans tous les secteurs, ou en fournissant un égal accès au marché du travail aux hommes et aux femmes, on peut faire le pari d’une société en meilleure santé sur le plan socio-économique. En témoigne le rapport de 2016 sur le développement humain en Afrique, élaboré par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), qui estime que les inégalités de genre génèrent un manque à gagner de 95 milliards de dollars par an en moyenne en Afrique subsaharienne.
Source : Youmatter