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La juge Ketanji Brown Jackson est auditionnée depuis lundi par les sénateurs, qui doivent confirmer sa nomination comme juge à la Cour suprême des États-Unis. Elle deviendrait la première femme noire à occuper un tel poste et permettrait au président Joe Biden de tenir l’une de ses promesses de campagne.
Les républicains américains ont tenté de la dépeindre comme une "défenseure" de terroristes, qui se montrerait clémente avec les pédophiles. Au quatrième jour de son audition par les sénateurs, jeudi 24 mars, Ketanji Brown Jackson n’a pas semblé ébranlée par ces accusations. Cette juge de 51 ans sait que malgré les attaques, elle est en bonne voie pour entrer dans l’histoire américaine en devenant la première femme noire à siéger à la Cour suprême.
Ketanji Brown Jackson n’a, en effet, besoin que d’une majorité simple pour être confirmée. Elle sait pouvoir compter sur le soutien des 50 sénateurs démocrates et, si la totalité des 50 républicains devait lui être hostile, la vice-présidente Kamala Harris aurait le dernier mot… très probablement en sa faveur.
En la choisissant pour remplacer le juge Stephen Breyer, qui prend sa retraite, Joe Biden espérait aussi que des républicains la soutiennent. Après tout, il y a à peine un an, Ketanji Brown Jackson avait été confirmée par ce même Sénat pour devenir juge à la Cour d’appel fédérale du district de Columbia avec le soutien de trois sénateurs républicains.
Mais une nomination à la Cour suprême est une toute autre histoire. "Toutes les auditions depuis plusieurs années sont devenues des foires d’empoigne politiques [entre démocrates et républicains]", rappelle la radio publique américaine NPR. Les démocrates avaient tout essayé, sans succès, pour bloquer la nomination en 2018 de Brett Kavanaugh, soupçonné d’agression sexuelle, puis d’Amy Coney Barrett en 2020, accusée d’être une intégriste religieuse. Auparavant, à la fin de la présidence de Barack Obama en 2016, les républicains avaient réussi à éviter que Merrick Garland entre à la Cour suprême, tout simplement pour empêcher l’ex-président démocrate de faire pencher le rapport de force au sein de la plus haute instance judiciaire américaine en faveur du camp progressiste.
Avec Ketanji Brown Jackson, il ne s'agit pas de faire bouger les lignes politiques à la Cour. La candidate de Joe Biden prendrait la place d’un autre démocrate, ce qui ne changerait rien au fait que la Cour suprême est actuellement très marquée à droite, avec six juges conservateurs sur neuf.
L’enjeu avec Ketanji Brown Jackson est à la fois hautement symbolique tout en étant politiquement très important pour Joe Biden. En effet, ce dernier avait fait de la nomination d’une femme noire à la Cour suprême l’une de ses promesses de campagne en juin 2020. Cette nomination s’inscrirait très bien aussi dans une stratégie plus générale adoptée par le président depuis son arrivée à la Maison Blanche : "Sur les près de 50 magistrats fédéraux nommés, les trois quarts étaient des femmes et les deux tiers des personnes de couleur", souligne le Wall Street Journal.
Ce serait aussi un événement historique pour la Cour suprême, qui demeure l’une des institutions les plus "wasp" ("white anglo-saxon protestant", c’est-à-dire à l’image du pionnier blanc protestant qui incarne la classe dominante depuis la fondation des États-Unis) de tout le pays. En près de 200 ans d’existence, la Cour suprême a accueilli 120 juges, dont 115 étaient des hommes et 117 étaient blancs.
Le premier juge afro-américain – Thurgood Marshall – a siégé de 1967 à 1991, date à laquelle il a été remplacé par Clarence Thomas, un autre juge de couleur, qui s'est révélé être très conservateur.
“You have earned this spot. You
are worthy. You are a great American.”
Senator Cory Booker offered Judge Ketanji Brown Jackson a respite from
conservative attacks during her Supreme Court confirmation hearing, endorsing
her candidacy in emotional terms.https://t.co/LBUOzMBIva
pic.twitter.com/H2NHOsSB9H
— The New York Times (@nytimes) March 24, 2022
Ketanji Brown Jackson est parfaitement consciente de la portée historique de sa candidature. Lors de sa prise de parole devant les sénateurs lundi, elle a assuré se tenir devant eux comme tant d’autres femmes "avant moi, y compris Constance Baker Motley, la première femme noire à avoir été juge fédérale et qui est née le même jour que moi [mais 49 ans plus tôt]".
Ketanji Brown Jackson n’est cependant pas qu’un symbole. Cette juriste, mariée à un chirurgien et mère de deux enfants, est sortie de la prestigieuse faculté de droit de Harvard avec les honneurs, a travaillé comme assistante pour Stephen Breyer, le juge de la Cour suprême qu'elle doit remplacer, et siégeait jusqu’à présent à la cour d’appel fédérale du district de Columbia, "qui est considérée comme la deuxième plus prestigieuse juridiction du pays après la Cour suprême à cause de l’importance des affaires qui y sont traitées", rappelle le site Scotusblog, consacré à l’actualité de la Cour suprême – "Scotus" signifiant "Supreme Court of the United States".
Telles sont en tout cas ses lettres de noblesse juridique. Mais Ketanji Brown Jackson a aussi emprunté des chemins professionnels qu’aucun autre de ses probables futurs collègues à la Cour suprême n’a suivis. Elle a officié pendant deux ans comme avocate commise d’office et a aussi été juge d’application des peines. "La plupart des juristes qui envisagent une carrière dans les plus hautes sphères de la magistrature préfèrent passer par le bureau du procureur car ils savent que les politiciens ont tendance à soutenir plutôt ceux qui se trouvent du côté des forces de l’ordre plutôt que les avocats de la défense, qui se retrouvent souvent à plaider la cause de criminels", explique le site américain d’information Vox. Et "elle n’a pas eu peur d’aider des clients que les autres évitaient à tout prix", note le New York Times.
Pour plusieurs commentateurs, c’est ce choix de carrière particulier plutôt que sa couleur de peau qui fait tout l’intérêt de la nomination de Ketanji Brown Jackson. "Elle aura plus d’expérience de la réalité de l’application des peines pénales que tous les autres juges de la Cour suprême réunis", résume le Los Angeles Times.
Ce sont ces quelques années passées à défendre des criminels ou à décider de la sanction à appliquer que les républicains ont épluchées pour tenter de déstabiliser Ketanji Brown Jackson durant les auditions cette semaine. ll lui a ainsi été reproché d’avoir défendu, il y a seize ans, un détenu de Guantanamo. Ketanji Brown Jackson a été accusée d’avoir pris le parti de "combattants ennemis" des États-Unis, ce à quoi elle a répondu que l’affaire lui avait été attribuée et que n’importe qui avait le droit à la meilleure défense possible.
Plusieurs sénateurs républicains ont ensuite suggéré qu’elle avait de l'indulgence pour les pédophiles car elle avait "souvent infligé des peines moins lourdes" que le maximum prévu par la loi pour des individus possédant des images pédopornographiques. Mais plusieurs médias, y compris conservateurs, ont relevé qu’une écrasante majorité des juges américains faisaient de même. "C’est digne de QAnon [le groupe conspirationniste pro-Trump qui est persuadé qu’une secte sataniste et pédophile dirige les États-Unis]", s’est emporté sur Twitter Andrew Bates, un porte-parole de la Maison Blanche.
Mais qu’importe pour les républicains, souligne la radio NPR. Ils savent qu’ils ne pourront pas empêcher la nomination de la première femme noire à la Cour suprême. Mais s’ils peuvent faire passer le message que les démocrates ont soutenu une juge "qui serait peu sévère avec les criminels", c’est l’essentiel. Après tout, les élections de mi-mandat ne sont que dans quelques mois.
Source : France 24