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Il manque 10 000 ingénieurs en France. Seules 24% des ingénieurs français sont des femmes. Comment les attirer ?
Elles témoignent
Le métier d'ingénieur reste majoritairement masculin. En France, sur environ un million d'ingénieurs en activité, 24 % sont des femmes*. Un chiffre qui stagne depuis dix ans. L'enquête annuelle de l'Observatoire des ingénieurs et scientifiques de France (IESF) vient de confirmer cette tendance avec seulement 28 % de jeunes femmes diplômées dans la promotion 2022-2023.
En plus des actions dans les écoles, collèges et lycées pour susciter des vocations chez les jeunes filles, les entreprises peuvent agir à leur échelle. Quelles mesures font préférer telle entreprise à une autre quand on est une femme ingénieure ?
Pour attirer des femmes dans une entreprise, il faut montrer celles qui y travaillent déjà. « Cela commence par une féminisation des parcours ingénieurs visibles sur le site employeur d'une société ou sur les plaquettes de présentation. C'est très rare d'y voir des photos de femmes ingénieurs. Or, présenter des parcours féminins permet aux femmes de se projeter », constate Aline Aubertin, présidente de l'association Femmes-ingénieurs.
Toute une série de mesures doit être prise sur le long terme. À commencer par désigner en interne des porte-parole féminins qui acceptent de donner des interviews à la presse ou d'aller parler en tant qu'expertes sur les plateaux télé. La société a besoin de rôles modèles pour faire reculer les stéréotypes.
« Il faut aussi présenter son entreprise lors de rencontres dans des collèges ou des lycées et expliquer pourquoi on privilégie l'embauche d'ingénieures, insiste Aline Aubertin. Pour les DRH, cela peut paraître une action au très long cours mais je m'aperçois que les entreprises qui éprouvent le moins de mal à recruter sont celles ayant compris qu'il faut alimenter, dès le plus jeune âge, les viviers des ingénieures. »
Une fois embauchées, les actions doivent continuer car il faut leur donner envie de rester. Or, comme se désole l'IESF cette année encore, les hommes ingénieurs sont payés 18% de plus que leurs homologues femmes. « Les rémunérer à l'égal des hommes ingénieurs, c'est le minimum si l'entreprise veut les attirer…», rappelle Aline Aubertin.
Pour garder les ingénieures, il faut garantir l'absence de discrimination tout au long des carrières. « Sinon, elles sentent qu'un plafond de verre sévit, alors elles votent avec leur pied et vont voir ailleurs, » assure Aline Aubertin.
Pour y parvenir, il faut afficher des preuves chiffrées : politique d'égalité des salaires, mais aussi égalité d'accès aux promotions, y compris aux postes d'encadrement.
Une autre preuve à apporter concerne le recrutement irréprochable : « Le monde du travail n'accueille pas de manière satisfaisante les femmes, qu'elles soient ingénieures ou pas…, regrette Agathe Le Berder, secrétaire générale adjointe de l'Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens de la Confédération générale du travail (Ugict-CGT). Ainsi, un tiers des femmes cadres précise avoir été interrogé sur leurs enfants ou leurs désirs d'enfants lors des entretiens d'embauche alors que cette démarche est interdite ».
Blagues déplacées, préjugés liés à la maternité/paternité, propos négatifs sur le management des femmes… Selon un récent sondage de Kantar Insights, 78% des femmes et 55% des hommes ont été témoins d'au moins un de ces comportements dans leur entreprise. Le sexisme ordinaire n'a pas disparu et l'un des chevaux de bataille consiste à proscrire toute atmosphère sexiste dans l'entreprise. « Il faut mettre en place des préventions spécifiques au début des carrières », insiste Agathe Le Berder.
Pour l'Ugict-CGT, il faut tenir compte du fait que les femmes ne disposent pas de la disponibilité des hommes car elles assument souvent la plus grande partie de la charge parentale. « Je conseille aux DRH de mettre en place une série de mesures tenant compte de cette réalité. Par exemple, en lien avec la grossesse, de diminuer leur temps de travail, en passant à la semaine des 4 jours payée 32 heures, à la naissance d'un enfant, mais aussi d'allonger le congé maternité et paternité et/ou permettre le temps partiel lors de ces années “enfants”. »
Un état d'esprit favorable aux femmes passe aussi par la mise en place, au sein de son entreprise, de réseaux dédiés aux femmes. « Et si l'entreprise est trop petite, j'invite les employeurs à se rapprocher d'associations permettant aux femmes de développer leurs réseaux, explique Aline Aubertin. C'est important tout comme, in fine, la féminisation des instances de gouvernance. Il faut montrer qu'être une femme ne doit pas être un frein pour décrocher les plus hauts postes ».
Une entreprise qui cherche à féminiser ses équipes d'ingénieurs peut enfin s'engager auprès d'associations comme Femmes-ingénieures notamment. Le plus probant est de devenir partenaire officiel afin d'aider financièrement ces organisations à mener des actions à impact au nom de ses partenaires. Interventions dans les écoles (quasiment une par jour chez Femmes-Ingénieures), mise en place de programmes-clés pour éviter une vision genrée des métiers, etc.
* Source : Observatoire des femmes ingénieures 2023