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Les chiffres sont aussi énormes que stupéfiants.
Au Canada, les femmes perdent 3,3 milliards de dollars de revenus par année à cause des symptômes de la ménopause, selon une analyse économique réalisée par Deloitte et dévoilée il y a quelques jours. Certaines décident de travailler à temps partiel, d’autres refusent une promotion ou changent d’emploi pour réduire leur niveau de responsabilités au moment même où elles devraient gagner le plus d’argent.
Pire, 1 femme sur 10 quitte carrément le marché du travail en raison de symptômes non gérés.
Le rapport cite l’exemple d’une employée qui a décidé de travailler quatre jours par semaine pendant les sept dernières années de sa carrière parce que « chaque nouveau symptôme » l’affaiblissait. Cette décision a eu des conséquences sur son revenu mensuel, sa pension et ses occasions de carrière. Une autre a démissionné de son poste de gestionnaire de patrimoine au sein d’une banque privée à cause d’une intense fatigue. Elle travaille désormais à temps partiel dans un magasin pour un salaire et des avantages sociaux bien moindres.
Spécialiste de la ménopause à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, le Dr Radomir Jarcevic m’a précisé que le travail est particulièrement affecté par les chaleurs et les sudations nocturnes, car ces symptômes provoquent des épisodes de réveil. La fatigue diminue la capacité de concentration et, par conséquent, le rendement. La dépression et l’anxiété ont aussi un impact notable.
Deloitte a calculé que 540 000 jours de travail sont perdus annuellement au pays en raison des symptômes non maîtrisés de la ménopause.
C’est énorme, mais l’ampleur du phénomène est sous-estimée, car les données ont uniquement été recueillies auprès de femmes travaillant à temps plein. Or, on sait qu’elles sont nombreuses à occuper des postes à temps partiel. Au Québec, la proportion est de 23 %, au Canada, de 24 %.
Une femme sur trois justifie son choix de travailler à temps partiel par le fait qu’elle doit « s’occuper de ses propres enfants ou d’un proche âgé » ou en raison de responsabilités familiales, précise Statistique Canada. En revanche, 8,6 % des hommes travaillant à temps partiel ont cité ces raisons.
À lui seul, le travail à temps partiel affecte considérablement le revenu des femmes. Et leur niveau de vie après la carrière. De fait, la rente mensuelle moyenne versée par Retraite Québec aux hommes s’élève à 632,50 $, contre 459,45 $ pour les femmes (données de décembre 2022).
Il est aussi intéressant de constater que l’an dernier, 49 % des hommes bénéficiaient d’une rente mensuelle RRQ de 700 $ et plus, contre 26 % des femmes.
Ces écarts s’expliquent notamment par les congés de maternité, un écart dans le nombre d’heures ou d’années travaillées, et un salaire horaire moindre.
Bref, après avoir potentiellement perdu des revenus à cause des menstruations, des congés de maternité, de fausses couches ou des soins aux enfants, bien des femmes écopent encore autour de 50 ans, soit « au sommet de leur potentiel économique », déplore la Fondation canadienne de la ménopause, l’organisation à qui Deloitte a livré son rapport1.
Au Canada, les femmes âgées de plus de 40 ans forment le quart de la main-d’œuvre. Elles sont 2 millions entre 45 et 55 ans.
Pour les entreprises qui ont besoin de personnel expérimenté, ça fait beaucoup de monde à accompagner à travers la ménopause et la périménopause. L’ennui, c’est que l’information manque et que le sujet demeure tabou.
Si le documentaire de Véronique Cloutier a fait bouger les choses dans la sphère privée, il n’en demeure pas moins que deux femmes sur trois ne seraient pas à l’aise de parler de leurs symptômes à leur supérieur et aux ressources humaines. Bon nombre (75 %) ne savent même pas quels sont les symptômes, ce qui n’est guère étonnant puisque même des médecins peinent à poser les bons diagnostics. La BBC a rapporté l’histoire d’une médecin de New York qui a diagnostiqué et traité une femme pour la maladie d’Alzheimer, alors que son déclin cognitif était lié à la chute de son taux d’œstrogènes, ce qui arrive avant la ménopause2.
Parler ménopause au boulot, sauf pour faire des farces plates, n’est pas évident. La peur de la stigmatisation et des conséquences néfastes sur la carrière est répandue. Le silence et les stratégies de camouflage sont donc de mise, la plupart du temps.
Les employeurs doivent s’assurer que leurs gestionnaires soient accommodants et sensibilisés à la question pour que les femmes osent parler de leur foutu brouillard mental3. Ils peuvent aussi offrir des assurances qui remboursent les traitements. Car il existe des solutions pour réduire les conséquences de la ménopause sur le boulot et les revenus. Comme le rappelle le Dr Jarcevic, l’hormonothérapie soulage « jusqu’à 90 % des femmes » et elle « n’est pas dangereuse », quoi qu’on ait pu en dire.
Sentir l’appui du patron et des collègues fait aussi partie du cocktail thérapeutique nécessaire pour faire cesser l’injustice.